Immigration, fécondité, et nombre de travailleurs
par personne dépendante
Par Grégoire Bergeron M.Sc.A.
Introduction
Lorsqu’il s’agit d’immigration, l’un des principaux arguments employés
pour justifier la « nécessité » de celle-ci est basé sur le fait
indiscutable que nous sommes dans une société vieillissante. La logique va comme suit :
« Considérant que le Québec est une société vieillissante, le
nombre de travailleurs par individus retraités ira en diminuant, ce qui veut
dire qu’il y aura de moins en moins de contribuables et de plus en plus
d’individus à la charge de l’état. Conséquemment,
l’immigration est nécessaire pour équilibrer le nombre des contribuables par
rapport aux nombres de personnes à charge. »
Si le constat est irréfutable, la solution est questionnable. La
question que nous devons nous poser est la suivante : est-il vrai que l’immigration peut équilibrer le rapport des
contribuables par rapport au nombre des personnes à charge?
Cette question est pourtant très simple à répondre. Il suffit simplement
d’utiliser des projections démographiques et d’observer l’évolution du rapport
de dépendance* selon quelques jeux d’hypothèses plausibles. Le modèle de
projection bâti pour réaliser l’étude « Immigration de masse au Québec :
effet sur le poids démographique des canadiens-français » sera utilisé
pour tirer ces projections.
*À titre indicatif, le rapport de dépendance indique le nombre
d’individus en âge d’être dépendant de la société par rapport au nombre d’individus
en âge de travailler. Par exemple, un
rapport de dépendance de 0.4 signifie qu’il y a 40 personnes âgées entre 0 et
15 ans ou de 65 ans et plus pour 100 personnes âgées entre 15 et 65 ans (Chawla
1990).
Méthodologie
Démarche
L’exercice consiste à tirer des projections démographiques basées sur
des jeux d’hypothèses. Nous ferons varier le taux d’immigration et le taux de
fécondité sur trois niveaux pour un total de neuf jeux d’hypothèses
possibles. Les projections seront portées
de 2014 jusqu’en l’an 2500; l’objectif est de constater l’effet à long terme de
nos jeux d’hypothèses; s’il s’avère être vrai que l’immigration peut équilibrer
le rapport des contribuables par rapport au nombre des personnes à charge,
alors on s’attendra à ce que, sur le long
terme, les jeux d’hypothèse avec une forte immigration aient un impact
plus important que les jeux d’hypothèse à faible immigration.
En parallèle du rapport de dépendance, nous observerons la croissance de
la population québécoise pour établir la plausibilité des scénarios.
Jeux d’hypothèses
1.
Immigration
a.
Niveau
1 : Aucune immigration
b.
Niveau
2 : 50 000 immigrants par ans
c.
Niveau
2 : 500 000 immigrants par ans
2.
Indice de fécondité
synthétique (IDF)
a.
Niveau
1 : IDF = 1.6
b.
Niveau
2 : IDF = 2.1
c.
Niveau
2 : IDF = 2.6
Projection démographique
Le rapport de dépendance ainsi que la croissance de la population sera
calculée en utilisant le modèle de projection décrit dans mon étude
« Immigration de masse au Québec : effet sur le poids
démographique des canadiens-français ».
Résultats et discussion
Avant d’observer les résultats, il convient de se rappeler que le
rapport de dépendance (RD) a été historiquement bas entre 1982 et 1986 (RD =
0.40); ce taux était de 0.45 en 2010 et, selon mes estimations, il est
raisonnable de croire qu’il augmentera de 0.01 par ans de 2010 à 2031 pour
atteindre un sommet à 0.67.
La figure suivante présente l’évolution de la population québécoise ainsi
que l’évolution du rapport de dépendance de 1970 à l’an 2500 pour les neuf jeux
d’hypothèses.
Projection de la population et du rapport de dépendance de l’an 2015 à l’an 2500 |
Les jeux d’hypothèse s’appliquent à partir de l’an 2015; la période de
1970 à 2014 concerne les données historiques. Les neuf sous graphiques présentent des jeux
d'hypothèses spécifiques; de haut en bas nous présentons respectivement un taux
de fécondité de 1.6, 2.1 et 2.6 alors que de gauche à droite nous présentons
des taux d’immigration respectifs de 0, 50 000 et 500 000 immigrants
par an.
Observations
Au sujet du rapport de
dépendance, on remarque:
- À long terme, il n’y a aucune différence entre faire venir 50 000 ou 500 000 immigrants.
- L’immigration permet de faire baisser le rapport de dépendance de 0.73 à 0.65 seulement pour le scénario avec une fécondité de 1.6.
- Pour des scénarios de fécondité supérieure de 2.1 et 2.6, l’immigration n’a aucun effet à long terme.
Au sujet de la croissance de la
population, on remarque :
- Sans immigration, pour un IDF de 1.6, la population québécoise décline à 140 000 habitants en l’espace de cinq siècles.
- Deux scénarios permettent de stabiliser la population québécoise autour de 10 millions d’habitants. Le premier étant le scénario avec un IDF de 1.6 et 50 000 immigrants par ans. Le second était le scénario sans immigrants pour un IDF de 2.1.
- Une fécondité de 2.6, sans aucune immigration, portera la population à 188 millions en l’an 2500. Avec une immigration de 50 000 individus par ans, cette population montera à 1 demi-milliard alors qu’avec 500 000 immigrants par ans, la population grimpe à 3.5 milliards.
Analyse
Suite à l’observation des résultats, nous sommes en mesure de répondre à
la question suivante :
Est-il vrai que l’immigration peut
équilibrer le rapport des contribuables par rapport au nombre des personnes à
charge?
Considérant que le rapport de dépendance des années 80 oscillait autour
de 0.40; qu’il était autour de 0.45 en 2010; que dans le meilleur des scénarios
avec immigration celui-ci se stabilise à 0.65; que dans le pire des scénarios
sans immigration, celui-ci se stabilise à 0.73; que l’augmentation du taux de
fécondité à 2.1 rend nul tout effet de l’immigration; nous pouvons conclure que
l'affirmation est fausse. En aucun cas il ne sera possible de revenir à un
rapport de 0.40 ou de conserver un rapport de 0.50. L’effet de l’immigration
sur le rapport de dépendance est marginal lorsque l’indice de fécondité est de
1.6 et est nul lorsque celui-ci dépasse 2.1. Ainsi, on constate que, sur le
long terme, l’immigration ne peut pas équilibrer le rapport des contribuables
par rapport au nombre des personnes à charge.
Explications
Si l’immigration à un effet marginal ou nul sur le rapport de
dépendance, c’est pour deux raisons. La première c’est qu’à long terme, les
immigrants finissent eux aussi par vieillir; pour remédier à ce problème, il
faudrait prévoir des scénarios avec des flots d’immigrants toujours croissants
à la manière d’une pyramide de Ponzi; or ceci est inconcevable puisque nous
arriverions rapidement au point où nos besoins en immigrants dépasseraient
l’offre. L’approche que je qualifie de
pyramide de Ponzi a déjà été étudiée par les Nations unies (Nations unies,
2001); par exemple, pour la Corée du Sud qui a un IDF similaire à la notre (IDF
= 1.7 en 1990), les Nations unies ont calculé que pour la seule année de 2050
la Corée aurait besoin de 381 millions d’immigrants pour maintenir constant le
rapport de dépendance, cette stratégie ferait passer leur population de 45
millions en 1995 à 6.2 milliards en 2050.
La seconde raison est que le rapport de dépendance de 0.40 des années 80
est un phénomène exceptionnel qui ne risque pas de se reproduire. Il est la résultante de l’effet combiné de
trois événements; la première étant la fécondité élevée des années 1945 à 1965
(IDF = 4), la seconde étant la faible fécondité d’après 1965 (IDF entre 1.5 et
1.7), la dernière étant l’espérance de
vie peu élevée dans les années 80 par rapport à celle d’aujourd’hui. Ces événements
ont eu pour effet de minimiser le nombre d’individus d’âge inférieur à 15 ans ou supérieur
à 65 ans tout en maximisant les individus âgés entre 15 et 65 ans; ce qui
résultait en un rapport de dépendance de 0.40.
En supplément
Des analyses supplémentaires ont montré que pour un indice synthétique
de fécondité (IDF) de 1.6, un taux de 30 000 immigrants par ans aurait le
même effet sur le rapport de dépendance que l’actuel taux d’immigration de
50 000. Pour une fécondité légèrement supérieure, sois de 1.85, un taux
d’immigration de 20 000 aurait aussi le même effet. Ce qui converge vers le scénario de l’IDF de
2.1 avec une immigration nul qui a le même effet sur le RD qu’un IDF de 1.6
avec 50 000 immigrants par ans.
Conclusion
L’objectif de cette courte analyse était d’évaluer si l’immigration
était un outil efficace pour maintenir constant le rapport entre les individus
en âge de travailler et ceux en âge d’être en état de dépendance. L’analyse a
démontré qu’il était impossible, même avec 500 000 immigrants par an, de
maintenir tant le rapport des années 80 que le rapport actuel puisque les
immigrants finissent eux aussi par vieillir. Dans les années 80, il y avait 40
individus dépendants pour 100 individus
en âge de travailler, en 2017 le nombre des individus dépendants était de 52,
et sur le long terme, il sera de 65 peu importe le niveau d’immigration. De plus, un taux d’immigration de 30 000
immigrants par an aurait le même effet sur le long terme que le taux actuel de
50 000.
Références
Bergeron Grégoire
(2017), « Immigration de masse au Québec : effet sur le poids
démographique des Canadiens-français », https://vigile.quebec/IMG/pdf/immigration_-_effet_sur_le_poids_demographique_des_canadiens-francais.pdf
Chawla, Raj K. 1990. Dependency ratios: An
international comparison, Perspective on labour and income, 2, 2: article no 5
INSTITUT DE LA
STATISTIQUE DU QUÉBEC, La population du Québec au 20e siècle : un siècle de
mutations, p.11.
Nation unies (2001), “Replacement
Migration: Is It a Solution to Declining and Ageing Populations?”, Department of
Economic and Social Affairs, Population Division, http://www.un.org/esa/population/publications/migration/migration.htm
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